LIVE : Le KulturA en 3 soirées

Ca fait un paquet de temps qu’on vous bassine avec le KulturA, les milieux les plus avertis de la culture liégeoise nous taxent d’ailleurs de leur sucer la bite, mais c’est sans compter sur le fait que le KulturA n’est pas genré. Alors disons qu’on leur mange la bite et/ou la chatte. 

Maintenant que ça c’est dit, rentrons un peu dans le vif du sujet. Pourquoi faire ENCORE un article sur le KulturA ? Parce qu’on aime bien prouver qu’on a raison. On avait parlé des gens, du projet, de la qualité de la musique, de la scène liégeoise qui semblait fort tourner en rond et toujours surtout, toujours tourner les mêmes. Alors si oui, on retrouve une forte odeur de gaufre dans beaucoup des concerts que nous partageons avec vous, force est de constater que des parfums de cuisine étrangère embaument la scène du 13 rue Roture.

Petit tour d’horizon de la progra de ces derniers mois…

EOSINE

Kante vous en a déjà “un peu parlé”. Il les a vus un nombre incalculable de fois. Il a tout vu. Il était là. Au tout premier concert qu’ils ont donné et qui leur ouvrit les portes de chez JauneOrange. C’était au Centre Culturel de Huy pour la fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles, plus communément appelée “Fête de la Communauté Française” pour les vieux cons que nous sommes. Et les vieux cons que nous sommes ont pris, ce soir-là, une bonne petite claque. Ce groupe, là, sur cette si grande scène, pour son premier concert, avait tout d’un grand, et malgré le stress visible chez chacun de ses membres, a offert une prestation laissant entrevoir de grandes choses à venir. Pat (LE Pat qui n’écoute pas The Body), qui les programmait ce soir-là vous répètera si vous le voulez qu’il l’avait bien dit.

Et de futur il sera bien question… Le groupe enchaîne les concerts, se fait les dents sur les planches de la région, et se présente au Concours-Circuit, qu’il gagne haut la main.

Ce concert au Kultura n’est en fait qu’une étape supplémentaire dans leur progression qui semble presqu’infinie. A chaque concert, ils sont meilleurs. Alors restons raisonnables, c’est pas comme si chaque concert était une révolution, mais une progression, si sensible soit-elle, est une progression, et l’expérience acquise durant ces deux dernières années leur permet d’assurer des shows incroyables de sensibilité, de délicatesse, de poésie, mais aussi de force, de puissance et d’intensité. 

Et George qui assistait pour la première fois à un concert de Eosine est reparti lui aussi conquis par la prestation du groupe. En termes d’intensité, leur set allait selon lui-même bien au-delà des compos dispos sur Spotify, pourtant elles-mêmes déjà de très bonne facture. Et ils ont beau avoir sorti leurs premiers titres en 2021 sur scène, ils donnent l’impression de tout sauf d’être un jeune groupe tellement ils dégagent une aisance à balancer leur post-rock shoegaze à la fois planant, puissant, profond, alternant le sombre et le lumineux, mais qui semble également et surtout complètement maitrisé. Mention spéciale à la chanteuse qui occupe l’espace de manière impressionnante, et qui dispose d’une palette vocale plus qu’impressionnante. Ou quand la valeur n’attend pas le nombre d’années. Un groupe qui sera clairement à suivre. George n’est pas très cocorico-mange-c’est-bon-c’est-du-local, mais quand c’est bon, c’est bon.

THE PSYCHOTIC MONKS

Ils avaient déjà pas mal retourné le dernier Micro Festival en août dernier. Mais comme il y en avait quelques-uns qui bougeaient malgré tout encore, ils sont revenus les achever. Un concert de feu. Un véritable stroboscope sonore. Une déferlante dans ta gueule, te laissant les bras ballants, un regard béat accroché solidement à ta face d’incrédule.

Si l’Irlande a enfanté Gilla Band, la France peut définitivement compter sur The Psychotic Monks pour les représenter fièrement sur la scène post-punk internationale, catégorie « arrachés de service ». A l’image du look des gratteux, leur musique est souvent complètement éclatée, déstructurée, et peut passer d’ambiances dance floor électrique à des décharges électriques saccadées de 420 volts accompagnées de larsens que n’auraient pas reniés Nirvana quand ses membres avaient tous encore toute leur tête.

Clairement, le genre de concert qui te donne envie d’insulter tes potes qui avaient décidé de rester scotchés sur Netflix ce soir-là pour être en forme pour le lendemain.  Y a des concerts qu’il ne faut pas louper. Et les deux de ce soir en faisaient partie.

ULTRAPHALLUS

Pour les néophytes et les lecteurs qui ont atterri sans savoir trop pourquoi ni comment dans cette mini-chronique, il est important de préciser d’emblée que contrairement à ce que leur nom pourrait laisser présager, Ultraphallus n’a rien d’un groupe de grind lambda adepte des performances artistiques de Ron Jeremy. 

Leur dernier album intitulé No Closure (Head Records & JauneOrange) est un excellent album (1) de noise-rock-post-punk-ou-post-ce-que-tu-voudras, blindé de mélodies sombres, de couches et d’effets sonores qui viennent se superposer pour créer une oppressante tempête sonore, mais tempête sous contrôle. Album d’ailleurs paru à peine quelques jours avant le concert. Pas suffisamment de temps pour vraiment l’apprivoiser. Mais assez pour se réjouir d’emblée.

Histoire de dresser un tableau un peu honnête du groupe et de sa musique, et malgré une identité visiblement passive-agressive, voire agressive-agressive, voire sexuellement agressive-agressive, il est important de préciser, et d’insister, même, que tout ça n’a rien de la violence déferlant à coups de double pédale et de rifs en palm-mute à 240 BPM. Ici, on te parle d’extrême puissance, on te parle de dureté, on te parle d’un noir si noir que le reste des couleurs préfère se terrer dans l’ombre, et disparaitre à jamais. Cette violence-ci, elle va calmement te briser les doigts, puis les genoux, puis chacune de tes vertèbres. La douleur te semblera de toute façon assez supportable dans la mesure ou ca fait un moment maintenant que tu suffoques, le souffle coupé par la puissance écrasante de leur musique.

Notons également qu’il n’est jamais évident de causer de la musique des copains voire des copains des copains. Si on tape dans le dithyrambique, on passe d’office pour le fayot de service. Et s’il s’agissait d’un naufrage, c’est quand même toujours un poil délicat pour illustrer la prestation du soir de devoir faire référence aux fonds marins du Commandant Cousteau ou au 100m nage libre de Eric Moussambani aux JO de Sidney de l’an 2000.

Fort heureusement, pour ce retour aux affaires et à Liège d’Ultraphallus, nul besoin de prendre des gants, les po(è)tes liégeois ont déroulé un set ultra maîtrisé au KulturA pour leur retour sur scène après plusieurs années d’absence, décembre 2019 au Magasin4. Set dans lequel on a pu entendre par exemple d’entrée le terrible « Claimers » avec sa montée progressive et ses passages bruitistes tapés, avant de redescendre lentement jusqu’au calme (ou à l’angoisse) absolu(e). Par moments, on pourrait avoir envie de parler d’expérimental, sauf que tout semble hyper calculé et parfaitement maîtrisé. Y compris le son du set, bien plus dans les clous que la tête d’affiche du soir par exemple. La puissance n’est définitivement pas qu’une question de volume.

Sans oublier la cover du set, qui n’est plus de Portishead comme ils l’ont fait régulièrement par le passé, mais de Coil, Triple Sons and the One You Bury, qu’on retrouve sur le magnifique live …and The Ambulance Died In His Arms enregistré en 2003 à l’ATP Festival. Très sincèrement, il fallait oser, ils l’ont fait, et ils ont bien fait. J’ai beau détester cette expression qui voudrait qu’on suspende des moments, elle est pourtant parfois parfaitement de mise.

On ne va pas disserter plus longtemps et encore moins en jeter plus, histoire de ne pas passer plus encore pour de parfaits suce-boules de service, mais ce soir, Ultraphallus a tapé très juste sans avoir besoin d’en faire des caisses. Et c’était parfait comme ça.

Ultraphallus rejouera notamment le 22 juin au Botanique, accompagnés du groupe Le Prince Harry en première partie.

 (1) George le dit, mais New Noise confirme également avec un bon 9/10 bien tassé dans leur dernier numéro.

OISEAUX-TEMPETE & FRIENDS

Les Oiseaux-Tempête et leurs amis débarquaient donc à Liège. Et pas n’importe quels amis puisqu’il s’agissait de Jean-Michel Pirès (Mendelson et Bruit Noir), G.W. Sok (The Ex), Ben Shemie (Suuns) et Mondkopf (Mondkopf). Et ils ont assuré.

Ils attaquent avec Black Elephant, titre d’ouverture de leur dernier album What On Earth (Que Diable). Le son va fort, très fort, probablement trop fort selon n’importe quel ORL encore en vie. Mais le son est fort bon. Shemie va céder sa place à Sok et son spoken word si caractéristique. Le tempo est lourd, la salle se transforme en caisson non pas de résonance mais de vibrations. Tout vibre. Murs, fringues et cheveux pour ceux et celles qui en ont encore. Et les têtes se balancent lentement mais inlassablement d’avant en arrière un peu partout dans la salle.

A l’image de ses albums, le groupe part dans tous les sens, mais dans une cohérence parfaitement absolue, mélangeant allégrement post-rock, rock-expérimental, spoken word, musique électronique, avec des passages parfois à la limite du kraut ou du psyché, batteries, synthés, guitares et saxophone. Et tapant aussi bien dans les récents From Somewhere Invisible et What On Earth que dans Ütopiya.

Une soirée de pur bonheur en quelque sorte. Et la démonstration qu’il n’est pas nécessaire de blaster à la double pour pouvoir revendiquer une puissance de feu supérieure à la moyenne.

Si vous voulez vous faire une idée assez proche de ce que vous avez manqué, allez voir la vidéo de la release party du dernier album à Paris publiée par le groupe sur sa page Youtube (pour tenter de revivre cette expérience au plus proche de celle qu’on a eu la chance de vivre au KulturA, montez le volume à fond, et une fois que vous y êtes, insistez bien pour vérifier qu’il n’y a pas moyen de monter encore plus haut dans les décibels)

OISEAUX-TEMPÊTE & FRIENDS @ La Station Nord / Gare des Mines – Release Party 2022 – YouTube

DITZ

Quelle claque ce concert de DITZ, quintet originaire de Brighton qui mélange noise rock sombre et furieux ainsi que post-punk abrasif. A leur actif, deux EP sortis en 2016 et en 2020, un album, « The Great Recession » sorti en 2022 et un live sorti un peu plus tôt cette année.

Le post-punk et particulièrement le post-punk made in UK a le vent en poupe. Gilla Band et Fontaines DC de Dublin, Black Country New Road de Londres ou encore les gigantesques cinglés de Idles originaires de Bristol.

D’ailleurs, en parlant de Idles, sur la page Bandcamp de The Great Recession, on peut lire « There have been a few line-up changes along the way, but they have been settled since their breakthrough tracks ‘Gayboy’, ‘Total 90’ and a cover of Peaches’ ‘Fuck The Pain Away’ in 2019, which prompted Joe Talbot from Idles to proclaim “DITZ are the best band in Brighton, if not the world” ».

Adoubés par le cinglé de Talbot de Idles donc, autant dire que la barre est mise haut en termes d’attente. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le groupe a démontré à Liège pourquoi il méritait amplement cette chevaliérisation (©Sire Perceval).

Arlon’s punk is not dead

Le ton est donné, et histoire de ne pas se jeter dans la fosse aux lions sans un petit échauffement, les sudistes de Marcel étaient venu chauffer les amplis et la foule venue en nombre. Mais ne vous y méprenez pas, les arlonais n’avaient pas fait le déplacement uniquement pour cirer les pompes des engliches, mais étaient clairement décidés à fumer le public et à gentiment péter des tronches en guise de mise en jambe. Le post-punk made in Belgium n’a pas déçu, et au delà d’un échauffement sportif, il s’agissait bel et bien d’une vraie première partie, véritable charivari (hé, t’as vu la blague ?) en prélude au rapport intense que nous allions pouvoir avoir avec les allumés de DITZ.

Mais revenons-en à DITZ, justement. Leur set était bien évidemment enragé et bruyant, un peu dans la veine de ce que nous avaient réservé les Psychotic Monks il y a quelques temps au même endroit. Blast batterie, curseurs des distos dans le rouge, boucles infernales, explosions sonores le port de croquettes (lire protection auditives) n’était pas un luxe. Mais dans le cas de DITZ, ce qui nous a particulièrement marqué, c’est la tension qu’est capable de distiller le chanteur du groupe, ultra charismatique, capable de balancer de vraies décharges vocales sur le public sans même sourciller le moins du monde. Et ça a fait mouche, les premiers rangs devant la scène s’en sont donnés à cœur joie jusqu’à l’explosion sonore finale. Comparaison n’est pas raison, mais force fut de constater que si les Psychotic Monks avaient déjà pas mal retourné le KulturA peu de temps avant, DITZ a balancé des bidons d’essence avant d’y foutre le feu. C’était tout simplement furieux. Et un peu douloureux quand les lumières se sont rallumées, on était bien là, hors du temps à en prendre plein la tronche, une fois encore.

Mais ce qu’il y a de bien à Liège, c’est que ça ne s’arrête jamais. Et après les récents concerts de Eosine, The Psychotic Monks, Ultraphallus, Oiseaux-Tempête et DITZ, on va d’ailleurs bientôt vous parler du concert de A Place To Bury Strangers au ReflektoR.

Elle est certes un peu dark mais elle est pas belle la vie ?