LIVE : Swans @ Toneelhuis/Trix Antwerpen

Il nous en a parlé, reparlé, il a insisté, il nous a mis en garde. Et puis il nous a jeté dans le grand bain, ont survécu ceux qui ont survécu. George nous a patiemment et sagement guidé tout le long du chemin nous menant vers les SWANS !

Et il lui en a fallu du temps. 3 ans, pour être précis. 3 ans de patience, 3 ans d’une bienveillance allant même jusqu’à préparer le terrain. De là à dire que ça a été fait dans la délicatesse et la douceur serait mentir. Parce que la technique était là. Sous nos yeux. A peine dissimulée. Il fallait créer un climat de suspicion. Une atmosphère délétère qui allait nous faire nous sentir en insécurité. Le but était donc de faire vaciller nos certitudes. Abattre les piliers qui nous maintiennent dans l’illusion du contrôle de nos vies.

3 ans. C’est long, 3 ans. Et il lui en aura fallu, de la patience, de l’abnégation, et surtout une bonne dose d’imagination pour en venir à nous proposer, enfin, un album des Swans (ou plutôt un live, pour qu’on comprenne bien tout, merci George pour le caractère didactique de ta démarche).

Un chemin parsemé d’embuches, de mise à l’épreuve et d’expectations

Quand je dis « expectations », ce n’est pas au sens anglophile de la chose, où il s’agit simplement d’une forme d’impatience. Ici, nous somme très clairement dans la signification purement francophile du terme. Dans l’expectation, il a une certaine forme de crainte. Une peur viscérale de l’inconnu, un genre de mise en danger. Et c’est bien de ça qu’il s’agit. Une mise en danger. Pour parer à toutes les éventualités, tel un physical trainer (là on est dans la signification anglophone du terme, je sais pas si tu suis) dans un camp d’entrainement de type Marines, Légion Étrangère, ou pour les plus mous d’entre-nous, l’armée belge (no offense, hein, les mirlitons, mais ça se voit que vous avez de la panse et les cuisses qui se touchent), il nous a poussé à nous dépasser, à nous oublier. Raser nos âme pour en construire de nouvelles.

Sur le terrain, le parcours commençait par un mur de Human Impact au dessus duquel il fallait passer, sans savoir ce qui se trouvait derrière (c’est épais et opaque, un mur de Human Impact). Manque de pot, une fois qu’on est arrivé au dessus, il n’y avait rien pour se reposer, et on est tombés dans un trou assez sombre, et on a du se battre à mains nues avec Oranssi Pazuzu. Combattre des divinités mésopotamiennes, en soi, c’est déjà quelque chose, mais on était loin de se douter que le chemin vers la sérénité allait être long. On sort de là, et on se fait cogner la gueule par les allumés de Shit and Shine qui nous attendaient sur la terre ferme pour nous renvoyer au fond du trou à grands coups de pied dans la face !

S’en est suivi une pause toute relative, puisque nous devions encore buter le boss du level 4, qui, soit dit en passant, avait pris la liberté de passer chercher ses copains à l’église satanique pour nous défoncer. Après Amenra, donc, un dernier sprint pour échapper aux éclaboussures de Mrs Piss, et on était prêts pour l’impressionnant Devin Townsend. Une fois que la caravane du Grand Barnüm de Devin a repris la route, avec sa femme à barbe, son tigre à deux bites (ou alors c’était un tigre a barbe et une femme à deux bites, je sais plus bien, mais en tous cas, c’était impressionnant), on est passés comme on pouvait entre les balles de Tomahawk, on a repris notre souffle avec Dalëk (c’est dire), puis on a trippé sur Neptunian Maximalism. Ensuite, on a appris la soudure avec Wolvennest, on s’est cachés pour Hide avant de respirer avec Anna Von Hausswolff. Respirer, mais ça sentait fort le soufre quand-même… Fausse battue pieds-joints avec Korn. On a bien senti qu’il avait pitié de nous. Je crois que le coup de l’opéra chinois était un sale coup bien fourbe, histoire de nous endormir pour mieux nous saisir, tels de beaux gros morceaux de bidoche sur un barbec’ bien chaud, avant de nous servir saignants à Michael Gira.

Sur un plateau d’argent

Après avoir disposé nos culs bien cuits sur un plateau d’argent, open bar sur les sauces, il ne restait plus à George que de nous livrer au leader des Swans. Et on n’allait pas devoir attendre trop longtemps (la surface froide dudit plateau étant propice aux hémorroïdes les plus sauvages) : Le Grand Michael Gira bossait sur un album présageant une tournée qui allait s’arrêter en nos belges contrées.

J’envoie donc ma demande d’accrèd photo sans plus de conviction que ça. Ayant eu vent de la réputation du groupe à détester ces connards de photographes qui ne viennent même pas pour écouter la musique, je m’attendais à essuyer un refus en bonne et due forme avec quelques insultes au passage (voire un bon vieux poing dans la gueule, même par mail, je m’attendais à tout). À ma plus grande surprise, ma demande est acceptée en un tournemain (c’est un vieux mot tout déglingué, mais je l’aime bien). Mon sésame en poche, nous voilà partis pour Antwerpen, plus précisément au théâtre Bourla, ce paquebot datant du début du 19ème S.

Les indices étaient clairs. Un antique théâtre avec balcons, les places numérotées, le caractère acoustique de l’album que nous nous étions procurés sous le manteau, il était évident que, assez exceptionnellement, le groupe allait donner une prestation devant un public assis. Point de headbang, point de moshpit, point de brutalité. Physique tout du moins, parce que si j’appréhendais un brin mon premier concert des Swans, c’est bien parce que je m’attendais à une forme de violence, auditive et sonore, celle-là.

Le vieux cygne

L’entrée en matière était assurée par le vieux Norman Westberg. On a beau dire ce qu’on veut, l’art, la subjectivité, tout ça, mais un mec qui essaye ses pédales et (dés)accorde sa guitare pendant 40 minutes, ça a quand-même le don de m’horripiler. Au mieux, ça m’emmerde.

C’est pas ça, je suis sur qu’il a essayé de nous dire quelque chose, mais j’en ai pas touché une. Alors oui, il peut y avoir autant d’intensité dans un silence que dans un solo endiablé, un rythme entrainant, ou encore dans le groove d’une basse, mais là, sincèrement, et avec la meilleure volonté du monde, je pense n’avoir toujours pas compris ou le monsieur voulait en venir. Par contre, si l’intention de Para-Norman-Activity était de faire monter la tension et l’impatience dans le public, on peut dire qu’il a fait sa soirée. Pas la nôtre, c’est sûr, mais lui, il peut être fier de lui.

En direct de ta chair

En matière d’entrée, et à défaut d’entrée en matière, le groupe sait y faire. Pas la peine de prendre des gants, de toutes façons, on n’est pas là pour boire le thé, et c’est sans tir de sommation que la charge est donnée.

Tout est là. La puissance, l’intelligence musicale, la force des nappes, toutes aussi essentielles les unes que les autres pour dépeindre toute la profondeur et la noirceur de l’esprit malade de Michael GIra. Et pour prouver à quel point l’intensité prend le pas sur la puissance aveugle, dis-toi, cher lecteur, que même armé d’une guitare électro-acoustique, le mec est capable de te tabasser et de te laisser pour mort sur ton strapontin.

What if God was a Chef d’Orchestre

J’aurais pu écrire cette phrase complètement en anglais, mais conductor, ça me fait plus penser à un klarkiste ou à un truckchauffeur comme on dit au pays de la NV-A (désolé, mais il fallait que je la place).

L’album, comme le ticket du concert indique pourtant clairement « Swans », mais il faut se rendre à l’évidence.
Les Swans, c’est Michael Gira.
Le boss, c’est lui. Il tient tout au creux de sa main. Il peut aussi bien serrer son poing et tout niquer, tout comme il peut laisser sa proie respirer doucement, lui laisser juste ce qu’il faut d’air pour ne pas suffoquer, pour mieux la faire mourir dans l’asphyxie la plus lente et la plus sadique. De sa main, il décide qui, sur cette scène a le droit de vie, ou de mort. De sa main, il donne vie à un rythme, avant de tuer d’un hochement de tête un riff presqu’insistant, et de menacer une nappe distordue de son regard noir.

Il est la vie sur scène autant qu’il personnifie la mort. Il est le Grand Créateur. Il est le Tout. Il fait le Rien. Il constitue l’essence même de sa musique.

Plus encore que sur ses albums précédents, on retrouve la signature de Michael Gira. Son empreinte, sa présence oppressante et toute puissante. C’est selon moi l’album duquel ressort le plus le grand Michael Gira. Il transpire, il saigne et gémit Gira par tous ses orifices, de tous ses membres et par tous ses pores. Et s’il y a bien une chose qui se voit sur scène, au travers de cette imposant contrôle qu’il exerce sur les membres du groupe, c’est que la musique sort de Michael Gira. C’est par son biais que ces ondes sonores nous parviennent. Les musiciens sur scène semble ne plus être que des interfaces humaines entre Dieu (appelons-le comme ça, ça sera plus simple pour tout le monde) et les instruments nécessaires à la création de toute cette magie. Ils sont le prolongement physique d’une entité supérieure qui s’exprime dans une langue mystérieuse et évidente à la fois.

Ils ont fait trembler la ville

Avec des murs plus épais que les distos qui grondaient en leur sein, on était légitimement en droit de penser qu’aucun son, aucun ampli, aucun vibration puisse faire trembler cet édifice. Il en fallait plus pour calmer les ardeurs du groupe légendaire.

Alors qu’on s’approche de la fin de ce qu’on peut qualifier de performance tant l’implication et l’investissement est intégral de la part de toutes les personnes se trouvant sur cette impressionnante scène, je me place stratégiquement pile devant le front de scène pour photographier le salut. Pour ne pas déranger les personnes derrière moi, je décide de m’asseoir en tailleur, et commence ma descente vers la moquette. Engoncé dans le strap de mes deux appareils photos, je m’aide de ma main pour ne pas me fracasser lamentablement au sol. J’aurais voulu qu’on photographie ma tronche quand ma paluche touche le sol et me transmet les secousses que le bâtiment me renvoie. Oui, cher lecteur, tu l’as bien compris plus haut, ils jouent de manière relativement « acoustique » par rapport à leurs habitudes, mais malgré ça, on pourrait facilement croire qu’ils sont en train de déchausser every single fucking brick in the building. Je tire une telle gueule que mon voisin, témoin de ma réaction se penche pour poser sa main au sol, et finalement, en une fraction de seconde, se retrouve avec la même face d’ébahi que la mienne. Puissance, je disais.

Retour sur terre

A l’inverse de Jésus qui descend du paradis, il a fallu qu’on remonte des entrailles de l’enfer pour reprendre possession de nos corps abusés. Et pour faire le trajet de retour vers notre bonne cité ardente, j’ai amèrement regretté ne pas avoir de platine vinyle dans la voiture pour prolonger ce moment un peu plus et passer le disque que George venait de m’offrir, un peu pour célébrer mon premier concert des Swans. Avec le recul, une célébration était belle et bien nécessaire. Merci George de m’avoir entrainé dans cette danse macabre, mais Ô combien délicieuse !

Pour ne pas changer, les photos de la soirée :

JAZZMANIA

En partenariat avec
JazzMania

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