LIVE : We Lost the Sea @ ACU (Utrecht – NL)

Quand on aime, on ne compte pas. Enfin, c’est ce qu’on dit, parce que pour le coup, j’ai compté les kilomètres, et ça en fait un paquet tout de même ! 208, pour être précis.

Et 208 kilomètres, ça ne se fait pas comme ça. Ça se prépare. Et vu qu’on est en 2023, on checke quand-même qu’il n’y a pas une date plus proche, histoire de ne pas cramer la planète encore plus vite que ce qu’on ne le fait déjà.
Ils viennent aussi à Gand au dunk!fest mais impossible pour moi à cette date. La seule chance que j’ai de voir ce groupe que je place au firmament de ce que j’aime en matière de Post-Rock, c’est de me taper la route et d’aller les voir en batavie. Zo zal het zijn comme disait Rob de Nijs. (Comme tu vois, je m’adapte.)

Il vaut mieux n’être ni seul, ni mal accompagné.

Il en faut plus pour m’arrêter. Une fois les demande d’accréditations dûment envoyées, une petite préparation s’impose : trouver un compagnon d’aventure.
S’il vaut mieux être seul que mal accompagné, et que je n’avais déjà pas l’intention d’être seul, je voulais encore moins être mal accompagné. C’est là que la stratégie du choix du deuxième larron prend tout son sens.

Je pense bien entendu tout de suite à l’indéfectible George. En plus, c’est le genre de grosses distos lentes qui lui plaisent. Un coup dans l’eau : George est déjà pris. Qui emmener pour un concert de post-rock ? Bobby ? Il va se moquer. Alain ? La Hollande est pleine de drogués, pas la peine de l’exposer à tant de débauche. Whitney ? Hahahahaha…  Non, rien !

Mais qui ? Le trou. Le néant. Et puis d’un coup, d’un seul, la lumière ! L’évidence même ! Pourquoi ne pas proposer à la digne représentante du post-rock liégeois ? C’était parti pour 400 bornes de partage de musique, de bonne rigolade le tout saupoudré d’exclus musicales avec Madame Eosine ! (Pour les exclus, on en reparlera, ne vous en faites pas.)

Direction Utrecht !

Pour débuter la tournée, le groupe a été booké par le collectif Black Earth dont le slogan est « Just because we are all Doomed, doesn’t mean we cannot have a good time ». Avec une ligne de conduite pareille, on se dit tout de suite qu’ils n’organisent ni des thés dansants dans des clubs de 3x 20, ni qu’ils donnent dans le fast-food musical mainstream. On est sur de l’aubette. On est sur de la petite échoppe où l’artisan partage son amour et sa passion.
Très sobrement, le peu d’info que l’on trouve sur le collectif vient de leur page Facebook où il est indiqué « Black Earth. Bookings. Event production and management. Support Local Scene/ DIY/Underground ». Bon, c’est un peu maigre comme décor, alors puisque c’est comme ça, on va aller voir par nous-même !

ACU : Un centre culturel politiquement engagé.

C’est à l’ACU que Black Earth a décidé d’arrêter la caravane des australiens pour débuter leur tournée. Et là aussi, il serait malhonnête de ne pas évoquer ce lieu avant de vous parler de l’aspect musical de cette soirée.

Pour reprendre leurs mots, « L’ACU est un centre culturel politique […]. ACU est non-commercial, indépendant de l’agenda municipal, et intégralement géré par des volontaires. ACU a trouvé sa place […] dans la scène culturelle et politique Utrechtoise depuis plus de 40 ans. » (Ça se dit « Utrechtoise » ? Non, je demande, hein, parce que les règles de français, ils s’en battent, les Bataves.)

C’est comme ça qu’ils se définissent. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils font ce qu’ils disent, ces gens-là. Il règne dans ce bouge une ambiance de fin du monde. En tous cas, une fois que tu en pousses les portes, tu comprends bien vite qu’il s’agit en fait de la fin du monde capitaliste. Du reste, on va continuer de headbanger et de faire suer les murs.

©Gerard Kollaard – facebook cover de la page de l’ACU
©Gerard Kollaard – facebook cover de la page de l’ACU

Le lieu est minuscule. Il est composé d’un bar pas très grand, de quoi mettre 6 tables et les chaises qui vont avec, et d’une petite salle, à l’arrière, en contrebas. Le truc, c’est que ces gens ont bien compris que s’ils voulaient faire péter les décibels, ils allaient devoir insonoriser un max. Et c’était parfaitement insonorisé, parce qu’en matière de db, ils ont été fort généreux. On était venus écouter du post-rock, ça ne s’écoute pas doucement, du post-rock.

Une mise en jambes pour première partie

En première partie, les Australiens avaient mis dans leurs grosses valises un autre groupe de post-rock originaire des cantons rédimés anglais. La disto et la reverb allaient chauffer ce soir, et c’est peu de le dire.

On découvre donc Solkyri en guise d’échauffement. Je vois l’Australie comme d’infinies étendues battues par un soleil cuisant. Où la poussière règne en maitre et où la vie elle-même est constamment en péril. Pas tellement de par sa faune, plus mortelle que dangereuse, mais plutôt de par cet environnement hostile dans lequel lesdits animaux ne sont finalement là que pour finir le travail si vous vous montrez plus résistant que la moyenne. Et pour traverser ces étendues, rien de tel qu’un bon gros road train, ces immenses convois de camions aux trente-six remorques, taillant la route, invincibles, soulevant la poussière, avalant les miles par milliers, franchissant tous les obstacles. Solkyri, c’est un peu ça : de la puissance, et ça ne s’arrête qu’après avoir défoncé tout sur son passage. Une puissance sombre et inquiétante. À peu près aussi sombre et inquiétante qu’une peinture de grand maître flamand. Les visages sont graves, la peste tue à peu près autant que les Ducs d’Orange et l’espérance de vie ne dépasse que difficilement les 35 ans. Sombre et puissant je vous dis.

De force il était définitivement question. Au-delà d’un jeu de batterie beaucoup trop fort pour la salle, martelant non-pas les peaux de ses tomes, mais directement celles de tes tympans, on notera l’extrême motivation du bassiste. C’est le début de la tournée, mon gars, faut tenir 1 mois comme ça. T’as l’air sûr de toi. Pour nous, c’est cool, mais on est tous un peu inquiets pour tes problèmes de tachycardie.

Si le groupe n’a pas marqué mes oreilles au fer rouge, je dois en tous cas reconnaitre qu’il a parfaitement joué son rôle de première partie. On a tous pris le bateau en direction de l’île aux prisonniers et on n’a pas l’intention d’en revenir de sitôt.

Petite scène, maxi gars, maxi son

Un des gros avantage des petites salles est la proximité de la scène. Pas trop haute, pas de crash-barriers, bref, le groupe se produit à 35cm de toi. Pour les photos, c’est vraiment cool.

Si la salle est petite, assez logiquement, la scène aussi est petite, et je me demandais comment on allait bien pouvoir faire rentrer les 6 membres du groupe sur un si petit espace. Et ces 6 personnes ne sont pas des moindres physiquement parlant. C’est-à-dire que d’entrée, on refait vite le lien vers la sauvagerie et la rudesse de l’Australie. C’est à croire que les gros camions, ils les tirent à la main tellement ils sont castards. J’ai beau faire 1m95, je crois qu’on en mettait deux comme moi dans le batteur, et trois dans le bassiste (dont le biceps faisait à peu près le double du volume de ma tête). Le mec, je suis sûr, il peut fendre des bûches rien qu’avec sa barbe.

6 personnes au physique très imposant, une salle aux murs épais, des pédales d’effets à profusion, ça pouvait commencer.

Ce que j’aime dans la musique de We Lost the Sea, c’est leur propension à lancer leurs morceaux par de longues et souvent douces mélodies avant de balancer la toute grosse sauce. Et quand je dis « toute grosse sauce », je ne parle pas des sauce en sachet Knor à la va-vite, genre double-pédale instantanée en poudre, le genre de truc sous lequel tu noies la mauvaise viande. Non, ici, on parle d’une sauce mijotée, ou chaque ingrédient sublime ce mélange de saveurs. C’est pas parce qu’on a dit « puissant » qu’il faut y aller comme des bourrins ! Entre la batterie presque minimaliste, claire, limpide, évidente, soulignons le jeu précis, sensible et complice des 3 guitares. D’une précision chirurgicale et d’une finesse à faire pâlir les meilleures brodeuses, je retrouvais sur scène ce pourquoi j’adore ce groupe !

Point de double-pédale intempestive, point de solos tonitruants, point de frime. Tout est là. Simple, efficace. Une heure quart de cette force sure et ample.

Au niveau de la setlist, on ne pouvait que se réjouir de trouver la quasi intégralité de leur excellent dernier album (Seul Mother’s Hymn ne s’y retrouvait pas) avec en plus Bogatyri et A Gallant Gentleman issus du très bon Departure Songs, leur avant-dernier album.

Que dire de plus ? Si ce n’est merci aux équipes de l’ACU et de Black Earth pour leur accueil, pour leur gentillesse, pour l’attention qu’ils nous ont porté tout au long de la soirée, et aussi pour cette idée pas si saugrenue qu’ils ont eu de faire venir un groupe si incroyable dans un lieu si décalé. Merci aussi à Elena pour sa délicieuse compagnie, pour toutes les perles musicales qu’elle m’a fait découvrir en chemin et pour sa complexe simplicité.

On s’est peut-être tapés 200 bornes, mais à aucun moment, je ne le regrette. Le jeu en vaut bien la chandelle qu’on brûle par les deux côtés. On sera fatigués demain, mais demain, c’est demain, et on aura tout le loisir d’y penser plus tard.

Edit : comme d’hab, Kante est nostalgique, alors il fait une playlist spotify rien que pour tes petites oreilles.

Et puis comme d’hab, il y a des photos.

JAZZMANIA

En partenariat avec
JazzMania

1 thought on “LIVE : We Lost the Sea @ ACU (Utrecht – NL)

Comments are closed.