MORE WOMEN ON STAGE : Qu’est-ce que tu comprends pas ?

Chaque année, c’est pareil. Chaque année, on assiste au même spectacle de cons. Chaque année, les mêmes trous de balles tombent dans le piège trop facile de blinder les scènes d’artistes qui posent leur teub sur la table en rotant des insultes à la gent féminine plutôt que de laisser une place à des artistEs.

Juicy

Et quand on dit « une place », ce n’est pas une portion congrue et insignifiante que tu dois dédaigneusement céder. Non-non, mon gars, tu dois mettre en place une vraie politique autour de la question et développer une véritable réflexion sur la problématique. Et la problématique est multiple, mon gars. Ta politique du « balance une ou deux gonzesses sur scène pour faire taire les chiennes de garde » ne suffira pas non-plus. On te voit. Le tour de passe-passe n’en est même plus un, et on voit les ficelles de ta guignolerie d’ici.

Chaque année, c’est le même spectacle désolant. Les affiches des grands festivals sont dévoilées au fur et à mesure des semaines qui s’égrènent du printemps à l’été. Et chaque année, c’est le même constat. Pas assez de représentativité féminine. Mais genre c’est risible. Quelques maigres pourcents des affiches, au mieux, désignent des artistes non porteuses de testicules. Ce n’est d’ailleurs en général qu’après une publication incendiaire, sur les réseaux sociaux, d’une élue, bien connue pour sa détermination à lutter contre ce genre de conneries, et éventuellement un article dans La Meuse (qui ne le publie que pour le clic et les commentaires désobligeants/débiles des hommes les plus fragiles qu’il va générer*), que les premiers noms d’artistes féminines sont lâchés fébrilement et à la hâte. L’excuse la plus communément avancée est que « l’affiche n’est pas encore annoncée et sera complétée par des artistes féminines ». Bullshit.

Alors histoire de parer les excuses les plus hypocrites, les plus fallacieuses, les plus connes, somme toute, faisons un tour d’horizon des excuses que nous sortent ces supposés professionnels de la musique.

Chapitre 1 : « Le [insérer un style musical au hasard], c’est un truc de mecs »

Emma Ruth Rundle & Jo Quail

Alors là, je t’arrête tout de suite. Y’a pas de trucs pour les filles et de trucs pour les garçons. George-Louis Bouchez met bien des polos roses alors qu’il porte ses couilles sur son front (il a l’air bien con d’ailleurs). Ajoute à ça le fait que Fabiola a porté ses propres robes pendant des années, si c’est pas un manque de goût chez une femme, ça, je ne sais plus ce qui est cliché et ce qui ne l’est pas. Donc on peut raisonnablement dire qu’il n’y a pas de « trucs de mecs », ni de « trucs de filles ».

Chapitre 2 : « Les artistes féminines ne sont pas bankable »

Alela Diane

Tu connais Beyoncé ? Fin de l’argumentaire.
Bon, ok, c’était facile, donc poursuivons notre route bordée de portes ouvertes.
Taylor Swift, Lady Gaga, Rihanna, Ariana Grande, Adèle, Mylène Farmer, Lauryn Hill – nan je déconne…

De toutes façons, cet argument n’est même pas viable économiquement. Si tu programmes que des trucs bankable, tu programmes aussi des trucs impayables. Donc en fait, tu mens parce que si tu prenais que des trucs bankable, tu serais fauché comme les blés et t’aurais même pas de quoi payer les artistes. Donc tu mens. Ton affiche, on sait bien qu’elle est composée d’une partie d’artistes que tu aimes qualifier de bankable, et d’une autre partie d’artistes plus modestes, et surtout moins cher. Tu veux un scoop ? Je le vois, tu veux un scoop. Tu vas (malheureusement) payer une femme moins cher qu’un homme pour la même tâche. Et tu sais quoi ? C’est la même chose dans la musique, y’a pas de raisons. Donc si, il y a de la place sur ton affiche pour y mettre des noms moins bankable. Ne fais pas celui qui n’a pas compris, tu as très bien lu.

Chapitre 3 : « Pour tenir une scène, il faut une grosse paire couilles »

Sonique Monique

Pas que ce soit ma came, mais tu sais qu’on surnomme Aya Nakamura « La Daronne » tellement elle tient une scène ? Ben voilà, maintenant, tu le sais. Je brûle de te présenter Missy Eliott aussi. Et BACKXWASH. Et PJ Harvey. Et tant d’autres beaucoup moins connues comme Hyphen Hyphen, Pomme, …

Sache que toutes ces personnes ont beaucoup plus de couilles qu’une bonne tripotée de mecs. Non non, je ne citerai personne.

Chapitre 4 : « On a la pression des annonceurs et des sponsors »

Johnnie Carwash

Donc, en gros, tu nous expliques que ton banquier, ton opérateur téléphonique, ton brasseur te disent comment faire ton boulot ? Question : est-ce que toi, tu expliques à ta banque quels taux d’intérêts elle doit pratiquer ? Est-ce que ton opérateur téléphonique t’écoute quand tu leur dis que tu en as marre des deux augmentations tarifaires par an ? Est-ce que ton brasseur a enfin décidé de fabriquer cette bière saveur lardons-fromage à raclette que tu lui conseilles depuis tant et tant d’années ? Ne laissons pas durer le suspense plus longtemps : à toutes ces questions, tu as d’ores et déjà répondu par la négative. Alors la prochaine fois que, dans ton grand bureau nacré, baigné de la lumière jaune d’un coucher de soleil perpétuel, tu recevras Monsieur Générale de Banque, Monsieur Belgacom ou Monsieur Les Hommes Savent Pourquoi, dis-leur que tu as autant besoin d’eux que ce qu’eux ont besoin de toi. Tu as le pouvoir. Tu as le pouvoir de faire changer les choses. Tu peux lui dire d’aller se faire cuire le cul et d’allonger les biffetons, toi, tu t’occupes de remplir ses bars et d’écouler sa came. Chacun son taf.

Chapitre 5 : « Il n’y a pas assez de femmes dans le milieu du [insérer un style musical au hasard] »

Artie des Psychotic Monks

J’ai même pas envie de discuter avec toi si tu me sors des arguments moisis comme ceux-là.

Pourtant, c’est pas compliqué, c’est toi qui a les clefs. Tu as la possibilité de faire bouger les choses. Il y a moins de femmes, de trans, de lesbiennes, de queers sur scène pour la simple et bonne raison qu’il n’y en a pas assez. Plus on en programmera, plus il y en aura. Ça sera déjà un sacré bond en avant, mais il faut bien se rendre compte que cela ne peut générer qu’un cercle vertueux. S’il y en a peu, c’est aussi parce que l’exclusion de ces catégories de personnes entraîne leur anonymisation et leur donne zéro visibilité. Et si iels n’ont pas de visibilité, iels ne font rêver personne et ne motivent pas d’aspirant・e・s, qui sont du coup encore moins nombreuses et nombreux à monter sur scène, ce qui entraîne moins de visibilité, moins d’aspirant・e・s, moins sur scène, moins de visibilité, moins, moins moins, …

L’inverse est possible. Donne à ces personnes plus de visibilité, laisse les héroïnes et les héros émerger, iels donneront envie à des génies de sortir de leur écrin et éclater à la lueur du jour ! Participe à des demains plus beaux !

Chapitre 6 : Le public n’est pas prêt

Lucie aka Lux Montes

Là aussi, tu te trompes. Lourdement. L’époque formidable dans laquelle nous vivons est en partie caractérisée par une véritable prise de conscience de la diversité de ce monde, et encore plus profond (et important), du respect des différences et de ce qui fait de nous tous des individus uniques et exceptionnels. Et ce mouvement vient des plus jeunes. Donc pas des vieux cons, ils sont bien trop occupés à défendre leurs traditions.

Et tu sais quoi ? Tu peux même faire venir des gens dont l’identité sexuelle sort de tes propres schémas binaires, iels n’ont pas leur pareil pour mettre le feu au public. Alors oui, il y a toujours des trouillards pour te dire que c’est une honte, que nos traditions, nanani nanana, et que dans le temps, on avait plus de respect que ça, mais tu t’en fous, ces gens sont tellement vieux qu’ils vont bientôt mourir. Ou sont déjà morts à l’intérieur, on sait pas bien.

Epilogue : « Je n’ai aucun argument, aucune excuse valable, j’ai toujours fait comme ça, et je ne sais pas comment faire autrement »

Aucklane

Voilà. Enfin. On parle. C’est bien de le reconnaître. On te demande pas de ne mettre que des femmes ou des groupes 100% féminins à l’affiche, mais tu peux déjà commencer par une vraie représentativité des genres.

Pour t’aider dans cette tâche, il existe des organismes pour te conseiller, comme la plateforme Scivias qui se fera un plaisir de t’accompagner dans ta démarche. Tu peux aussi faire appel à des programmateurs dont c’est le métier, et qui donc ont déjà nourri cette réflexion et ont déjà développé les réseaux et les outils qui lui permettront de t’aiguiller. Nous citerons à ce titre les excellents KuratedBy.

Quelques liens pour aller plus loin

Cal from Ditz

On ne peut donc décemment pas écrire un article sur la représentativité et l’inclusivité sans vous parler un peu du travail de de la plateforme Scivias. Nous n’avons pas donné de chiffres statistiques sur le sujet dans cet article pour la simple et bonne raison qu’ils sont beaucoup mieux présentés, objectivés et prennent tout leur sens dans leur contexte. Ce travail est le fruit de l’équipe Scivias et il nous paraissait juste de leur laisser tout le crédit sur la question. Merci à eux pour leur travail. Outre la collecte, l’analyse et la rédaction des rapports annuels qui permettent de chiffrer précisément l’étendue de la problématique, le travail de Sarah Bouhatous et de son équipe s’étend à du conseil, de l’information, de l’encadrement. Scivias a par exemple mis en place un programme de mentorat, qui permet d’encadrer et de conseiller au mieux des artistes porteuses ou porteurs de projets dans le milieu de la musique (en région Wallonie-Bruxelles, mais on n’a pas trop envie de les brider ni de leur dire où aller).

Taqbir

Scivias, c’est aussi un peu la bannière à laquelle prêtent allégeance toute une série de structures actives du secteur pour affirmer leur volonté de faire changer les choses, faire avancer les mentalités, et surtout, voir fleurir le plus de projets inclusifs, représentatifs, respectant l’identité de chacune et chacun.

Toi aussi, tu veux en savoir plus sur ce que ces magnifiques personnes font, comment iels le font, et à quel point iels le font bien ? Alors file sur le site interweb de Scivias, et ouvre grand tes yeux. Et ton esprit. Et ton âme. Bref, ouvre-toi !

Aussi, nous ne pouvons que vous conseiller cet excellent article de Larsen sur la représentativité dans la programmation musicale.

Et puis comme d’hab, il y a les structures habituelles, fédérales, régionales, communautaires, locales, etc, mais on n’avait pas le temps de mettre en lumière tout ce qui existe. Il nous paraissait néanmoins important de les citer dans cet article.

UNIA – lutte contre la discrimination et défense de l’égalité en Belgique
Direction de l’Egalité des Chances – Région Wallonne
Scivias – plateforme qui impulse un changement
pour un secteur musical plus inclusif

Tu veux des preuves ? Des noms ? Une liste ? Tu veux qu’on te mâche le travail ? C’est pas dans nos habitudes, mais on va prendre un malin plaisir à te montrer qu’il y en a tellement qu’il n’est plus possible de vous mettre les vidéos YouTube.

Maëva de Bandit-Bandit

Little Simz, Doja Cat, Le Juice, Megan Thee Stalion, Tommy Genesis, Dana Dentata, Mimi Barks, BACKXWASH, Nova Twins, Kae Tempest, Fergie, Brutus, Lingua Ignotta, Pharmakon, Chelsea Wolfe, Mrs Piss, Emma Ruth Rundle, Julie Christmas, Made out of Babies, Jo Quail, Esben And The Witch, Oathbreaker, Arch Enemy, Employed to Serve, Wolvennest, Dolch, E-L-R, Anneke Van Giesbergen, The Gathering, Casualties of Cool, Jarboe, Swans, Puscifer, Eosine, Bat For Lashes, Kim Gordon, Lacuna Coil, Puce Mary, Rolo Tomassi, Bandit Bandit, Aucklane, Lux Montes, Lou K, Anabel Lee, King Hannah, Anabelle Lee, Lambrini Girls, Vulves Assassines, Johnnie Carwash, Taqbir (Summum du top, les Marocains risquant la peine de mort pour leurs opinions ont pour leader une meuf qui a la rage. En concert, c’est une grosse baigne dans ta gueule.), Ditz (Je veux pas t’entendre dire que c’est un mec), The Psychotic Monks (Pareil), Wet Leg, The Bobby Lees, M.I.T. – Male Idiot Theory, Ada Oda, Dame Area, Tanya Tagaq, Everything but the Girl, Fever Ray, The Knife (Bah, oui, tant qu’on y est… mais essaye plus de les programmer, c’est trop tard), Hyphen Hyphen, Baby’s Berserk, Sexy Sushi, Goldfrapp, Hoshi, Pi Ja Ma, Yeah Yeah Yeahs, The Tin Tings, SOROR, Gina Birch, Kelly Clarkson, Flèche Love, Rosalia, Sia, L’impératrice, Lady Gaga, Pomme, Bjork, Neneh Cherry, Lizzo, Juicy (du belge, en live, parce qu’en live, les bruxelloises tabassent grave), Rihana, Marissa Nadler, Condore, Feist, Hope Sandoval – Mazzy Star, PJ Harvey, Kim Gordon, …

Et comme d’hab, des playlists pour écouter ça peinard

* Un bon truc pour reconnaitre un homme fragile : c’est celui qui a l’air le plus dur : grosse voiture, grosse moto, gros flingue, grosse montre au poignet, gros muscles, grosses chaussures avec des grosses semelles pour marcher sur des trucs dangereux et brûlants, mais ne vous fiez pas aux apparences, cette couverture cache généralement une toute petite bite.