L’avis de George
J’ai profité de l’absence de notre bien-aimée Whitney, qu’on aime encore plus quand elle ne nous oblige pas à écouter Lomepal, pour vous fourguer encooooore un album de musique industrielle.
Terminé le rock, le hip-hop et la darkwave indus, cette fois, il sera question d’opéra, et pourtant, je n’éprouve aucune passion pour l’opéra de manière générale, et il sera également question de musique classique, et puis de drone et d’électro. Et surtout de musique expérimentale. Encore. Oui. Mais je garderai donc le brutal death technique, l’avant-garde blues gospel black metal et le grind punk hardcore non industriel pour le retour de Whitney.
Pan Daijing est une artiste chinoise expatriée à Berlin, responsable d’expérimentations sonores fort peu réjouissantes, voire même carrément inquiétantes, ce qui n’enlève rien à leur puissance et à leur beauté plongées au beau milieu d’un véritable chaos industriel. Elle est auto-didacte, je suis tombé sur un article dans lequel elle explique elle-même n’avoir jamais suivi le moindre cours de musique, ce qui rend je trouve son travail encore plus saisissant.
Pan a sorti jusqu’à présent 2 EP, une split tape et 3 albums
Satin Sight, son 2eme EP bien plus indus, plus techno et power electro, et bien plus bruyant. Les deux autres albums sont un peu de la veine de cet incroyable Tissues.
On va donc écouter A Raving Still, le titre d’ouverture, le plus court qui ne fait que 9’22.
Je ne connaissais pas Pan Daijing avant d’avoir découvert cet album chopé sur une recommandation sur le grand internet comme étant un des albums les plus intéressants de ce début d’année. Je suis tombé amoureux de ce disque dès la première écoute. L’impression de rentrer éveillé dans un joli cauchemar sonore.
Sur Spotify, il est présenté en tant que morceau unique, ce qui est relativement incompréhensible, puisque l’album a été conçu initialement en 4 actes très singuliers, A Raving Still, A Found Lament, A Tender Accent et A Deafening Hum. Privilégiez donc l’écoute sur Bandcamp où les morceaux sont présentés séparément. Et puis achetez-le surtout. 7,5€ en version numérique et une sortie vinyl est désormais prévue aussi.
On y retrouve un mélange de sons synthétiques étranges, de pianos déformés, distordus, et de sons humains, en chinois moderne, ancien, en anglais et dans des dialectes chinois, des chants d’opéra masculins et féminins, des cris aigus, des grognements, des sifflements, eux aussi distordus par moments, qui viennent non pas se superposer au fil de l’album, mais littéralement s’affronter, pour finir par s’entremêler, se mélanger.
Ce qui se dégage de cet album, c’est à la fois de la tension liée à tous ces sons irritants, un sentiment de solitude profond qui appellerait presqu’à l’introspection, mais aussi une impression de beauté et de grandeur tant certains passages vous prennent aux tripes, comme par exemple sur Deafening Hum et son piano maltraité, son chant lyrique féminin qui vous emportent un bon moment avant de rebasculer dans l’ultra répétition, les cris aigus et l’irritation. Le beau dans le laid, le laid dans le beau.
Mais ce n’est qu’après avoir décidé de vous infliger cet album que j’ai appris que Tissues a donc été conçu à l’origine pour une performance à la Tate Modern de Londres en 2019 avec danseurs et chanteurs d’opéra. Ce n’est donc pas du tout un concours de qui a la plus grosse avec le Rival Consoles de Bobby.
Pan Daijing prend deux univers, deux modes d’existence différents, classique et biologique d’un côté, et moderne et artificiel de l’autre, et les maltraite tous les deux jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus qu’un. Peut-on parler de symbiose entre l’homme et la machine, ou plutôt d’un effacement progressif de l’humain au profit de la machine?
Niveau influences, elle cite elle-même des artistes comme Merzbow ou KK Null pour lesquels elle considère leur musique comme une forme d’art, ce qui ne sera probablement pas le cas de la plupart d’entre vous ici.
Dans une longue interview accordée à Flash Art au sujet de sa nouvelle installation, elle expliquait que pour Tissues, elle avait fourni aux chanteurs sa composition finie et eux étaient chargés de chanter note par note comme dans la musique classique.
Si dans un premier temps, j’ai immédiatement été scotché par la qualité sonore de cet album, j’ai trouvé que sa conception et la réflexion derrière ce disque le rendaient encore plus passionnants et il sera probablement très bien classé dans mon top 2022.
L’avis de Alain
George me surprend toujours , mais parfois ce n’est pas en bien
Chronique cathartique – YouTube réaction
Commentaires en direct – YouTube style
Intro synthés à l’ancienne avec un bon son de lead.
On lance les vocalises mystico-religieuses introverties (note : Madame n’a pas l’air bien… une collègue prend le relai à 3:00)
Sa copine reprend vigueur et elles chantent toutes les deux
Ha ? On rajoute un prêtre/shamane/sorcier/exorciste/etc qui s’y met aussi (note : le synthé meurt sur une note grave)
Ha ? Le monsieur a un copain aussi (je parie que quelqu’un va crier)
Gagné ! (Voici un cri d’outre-tombe. C’est sans doute ce qu’on appelle le point George Romero)
Les messieurs sont partis et les dames s’énervent un peu (note : ça crie toujours et ne se réjouit pas de savoir ce qui crie)
Le synthé est définitivement mort … seul un léger Larsen électrique subsiste
… silence … suspens insoutenable (légèreté de l’être)
(Note : ça sent la transition)
Un autre synthé arrive : hourra ! Des accords ! Ça devient sérieux, on dirait presque de la musique)
(Note : faut que j’aille vider le lave-vaisselle moi)
Une des dames revient (c’est celle qui a l’air la plus vieille … oui, parce que j’ai oublié de le dire mais il y a une vielle et une jeune manifestement)
HA. La jeune revient aussi … avec des couinements bizarres …
Bein maintenant elles sont pleins tiens (et ça vocalise) (note : c’est quelle langue ce truc)
(Re-note : à mon avis, y’a un truc sexuel qui va arriver)
Ça vocalise toujours … (note : ça devient long)
Après 18 minutes, elles s’aventurent à tenter quelques accords dissonants (et il y en a une qui hurle comme un loup)
Pendant ce temps-là, quelqu’un pousse discrètement un peu de disto dans le synthé.
Ho ? Un pinayooooooo !!!
Quelqu’un fait de petites notes très très aigues pendant que la louve-garoutte de Londres continue d’hurler
Un mélange de cloches-klaxons-guitare arrive au synthé
23:42 : quelqu’un a enfin la (bonne) idée de mettre un son de basse
Un son de synthé tourbillonnant nous suggère que « quelque chose est en train de se passer » (note : une chose est certaine, ce n’est pas un orgasme musical … est-ce que je me suis brossé les dents moi ?)
25:54 quelqu’un a la (mauvaise) idée de mettre un son strident et désagréable qui tourbillonne telle la fraise d’un dentiste (note : on passe du stade « c’est bizarre ce truc » à « punaise mais c’est royalement insupportable »)
A 27 minutes et 34 secondes j’ai clairement envie de rencontrer le créateur de cet album pour lui dire ma façon de penser
On passe maintenant de « insupportable » à « chiant » et on en vient à être content que la Madame revienne faire ses vocalises (note : ça c’est plutôt pas mal comme exploit … ça me rappelle l’histoire du gars qui adorait se foutre des coups de marteau sur la main parce qu’il aimait tellement la sensation que cela fait quand il arrête)
La copine couineuse revient donner un coup de main (note : courage Alain on a passé la moitié)
Ha ! Le guitariste arrive enfin (note : t’es en retard mon gars, tes potes on commencé depuis une demi-heure)
Je crois qu’on n’a pas trop besoin de lui car on va garder pendant un petit temps un simple petit bruit de sonar avec deux dames qui vont continuer de borborigmer quelques mots (ça bizarrement « whooooooooo » « papa ! »)
Le percussionniste arrive une fois le guitariste parti et évidement les dames commencent à s’exciter très fort (note : excusez-moi du terme, mais là on n’est clairement plus dans le domaine du chant).
(Re-note : tout ceci me rappelle un film très désagréable et angoissant … ha voilà, j’ai retrouvé, Midsommar)
(Re-re-note : à ce moment mon fils aîné rentre dans la pièce et me demande qui est en train d’essayer de tabasser une souris avec un synthétiseur)
Je demande à mon fils de rester et de me donner son avis.
Les vocalises reviennent … il ajoute : « Ca c’est déjà plus supportable. En vrai, ça pourrait être une musique de combat épique … avec plus d’instruments et si c’était mieux fait. » (note : effectivement avec des musiciens, un rythme, une mélodie, des paroles et une progression d’accords, ça pourrait perte une tube interplanétaire … mais c’est une autre sujet, avec des « si », ou des « do » ou des « mis » ou des « sol », on pourrait avoir ce truc agréable et plaisant qu’on appelle de la musique.
Nous sommes à présent à 42 minutes. La situation revient à ce qu’on a connu vers les 10-12 minutes du début. Je n’oserais pas dire que les choses se normalisent, mais bon, le retour à quelque chose de connu serait presque agréable.
A 43 minutes, quelqu’un lance une sorte de note épique digne des plus grandes BO de films d’actions (note : j’ai failli y croire, mais les vocalises androgynes d’un·e nouveau·elle venu·e ont coupé tous les effets)
(Re-note : pour des raisons d’ergonomie auditive, la suite de la présente critique n’est pas rédigé en écriture inclusive mais elle s’adresse néanmoins tant aux hommes qu’aux femmes, ainsi qu’aux personnes non-binaires. Cette critique est présentée telle qu’elle a été crée, elle pourrait contenir des représentations culturelles datées. Cette … ha merde, non, ça c’est l’épisode 4 … je reviens)
On assiste à un duel entre un piano et une voix de dame mi-vieille (oui, à ce stade-ci je ne mets plus les formes) … ça sent la fin (note : il est temps bordel)
Une jeune dame arrive, le piano s’en va, les laissant toutes les deux terminer sur des vibratos (j’imagine que l’objectif est de préfigurer l’action d’un sex toy ou d’un insecte bourdonnant (note : mais on n’en est plus là à ce stade, c’est bon. Plus que 2 minutes de calvaire)
Ha non, c’était trop beau ! Un abruti arrive avec une flute !!!! Une flute !!!! Mais c’est une blague ???????????????????? (Note : il vont faire apparaître quoi dans la minute qui reste ?????????)
Un monsieur siffle comme s’il se promenait dans les bois (note : normal !)
Tout le monde est parti, c’est fini …
Conclusion : en 54 minutes, il y a des femmes qui peuvent accoucher et donner la vie. Je recommande donc activement aux créateurs de cet album de revoir leurs priorité et de s’orienter vers quelque chose de plus constructif.)
L’avis de Bobby
WTF ENCORE UN ALBUM D UN TRACK IL SUFFIT
Crispé, je n’ai pas dit crispant, mais voilà tu nous a habitué a du dur du brutal, du sordide, du crispant, DONC J’AI ATTTENDU DANS L’ANGOISSE TOUT LE LONG DE L’ALBUM QUE ÇA M EXPLOSE AU VISAGE, UNE FACIALE DE VISCERES ET DE SANG QUI ME LAISSERAIT PANTOIS EN TRAIN DE MURMURER EN ENLEVANT DE MA BOUCHE DES MORCEAUX DE CHAIRS, PUTAIN GEORGE…
ET NON TU M’AS SURPRIS, ON EST PAS DANS LA DOUCEUR MAIS DANS LA NOIRCEUR, DANS L’ANGOISSE, MAIS AVEC SUBTILITé. DONC APRE SUNE PREMEIERE ECOUTE EN ETAT DE STRESS TOTAL, J’AI PU ENFIN ME LAISSER ALLER, MEME SI ENCORE UN SEUL PUTAIN DE MORCEAU BORDEL FAITES COURT, ARRETEZ DE DISCRIMINER LES EJACULATEURS PRECOCES, C’EST UNE MALADIE ! C’EST UN AMI QUI ME L’A DIT SI SI.
Note de la rédaction : Frédéric, arrête de crier…
L’avis de Kante
J’ai beaucoup beaucoup pensé à Whitney, et je dois te féliciter, George, pour ta clairvoyance. Elle n’allait pas aimer. Les choix que nous posons dans la vie ne peuvent être le fruit du hasard. La survie de l’espèce en dépend.
Et en parlant de survie de l’espèce, je me demande toujours si l’ingénieure-son est toujours de ce monde.
Qu’à cela ne tienne, les hauts-fourneaux me manquent. Je les aimais. J’aimais les torchères qui, à un moment dessinaient le fond de vallée en descendant la côte de Sclessin quand je revenais au kot pendant mes candis. Tout ça me manque. Ces bâtiments, halles, hall techniques, espace de stockage, ateliers, tapis-roulants, aujourd’hui au repos m’inspirent non pas la quiétude qui y règne aujourd’hui, mais de la nostalgie. Une nostalgie teinté d’un immense respect pour ces travailleurs qui faisaient vivre ces lieux.
Ces travailleurs, qui, même sans descendre dans les mines, restaient des travailleurs de l’obscurité tellement cette poussière matte au noir si profond bouffait la lumière. C’est le règne de l’absence de lumière, c’est le règne de l’absence de vision, c’est le règne de l’absence de futur. Il n’y a plus de demain.
Et l’histoire prouva, une fois de plus, que non, on ne s’y trompe pas. On a beau s’accrocher à ses rêves, on a beau s’accrocher à ses cauchemars tellement les rêves n’existent plus, il ne reste que le souvenir d’une industrie certes florissante à une époque ou ne fleurissaient que les tables des actionnaires.
De la nostalgie donc. Un souvenir terni par la réalité. Celle qui te hurle au visage que non, ce temps ne reviendra pas, que tout est perdu, que rien ne sera plus pareil.
Les coups de marteaux, le roulement lourd des wagons-torpilles, le BUZZZ BUZZZ des portes délivrant des tonnes d’acier en fusion, le crépitement de la matière, tout ça n’existe plus que dans nos esprit et résonne dans nos mémoires.
Merci Pan Daijing, de m’avoir fait me souvenir, merci de me replonger dans le passé de notre belle cité.
Merci camarade Pan !